Un pronom neutre pour une langue non sexiste

Je suis tombé un peu par hasard sur un mot particulier, repris dans le Wiktionnaire: le mot «iel». Mais qu’est-ce que c’est que ce mot? C’est un pronom tel que «il» ou «elle», mais qui est neutre, dans le sens où il ne présuppose pas le genre de la personne qu’il désigne. Donc lorsque l’on dit «Iel mange une pomme», on ne peut pas savoir s’il s’agit d’une femme qui mange une pomme, ou d’un homme, ou d’une personne non binaire (c’est-à-dire, quelqu’un qui ne se reconnait ni dans le genre féminin, ni masculin). Je suis certain que ce genre de petit mot neutre est un outil précieux contre le sexisme de la langue, et c’est d’ailleurs exactement celui-là que j’avais trouvé en essayant d’en inventer un moi-même. Quelle surprise et quelle joie de découvrir que, non seulement d’autres y ont pensé avant moi, mais qu’en plus il a fait son entrée dans ce dictionnaire collaboratif!

Exprimer le neutre

Le français ne possède pas de neutre. Tout est soit masculin, soit féminin. Comment fait-on pour parler d’une personne en général, sans vouloir faire de distinction de genre? On emploie le masculin, dit «générique». Nous dirons ainsi

«L’étudiant doit s’adresser au professeur s’il a besoin d’une attestation.»

Et que se passe-t-il dans notre tête? Nous voyons un étudiant masculin s’adresser à un professeur masculin. Est-ce neutre? Absolument pas. Pour y remédier, la solution la plus simple est d’utiliser systématiquement et le masculin et le féminin:

«L’étudiant ou l’étudiante doit s’adresser au professeur ou à la professeure s’il ou elle a besoin d’une attestation».

Et là, on se rend compte de l’extrême lourdeur que cela engendre. À l’écrit, on peut faire des raccourcis comme ceci, en utilisant des points médians et barres obliques:

«L’étudiant·e doit s’adresser au/à la professeur·e s’il/elle a besoin d’une attestation.»

mais en plus de ne rien arranger à l’oral, cela reste fastidieux, surtout en ce qui concerne les doubles pronoms et déterminants. Il existe plein de solutions partielles que l’on peut combiner, et le pronom iel permet à mon sens d’en donner une supplémentaire pour pas cher:

«L’étudiant doit s’adresser au professeur s’iel a besoin d’une attestation.»

Vous voyez toujours un étudiant masculin dans votre tête? Moi non. Bon, ça n’arrange rien pour le professeur qui pourrait être professeure, mais c’est déjà un pas en avant à très peu de frais! D’autant plus qu’il permet d’inclure les personnes non binaires, éternelles oubliées de la langue. On pourrait même pousser plus loin en utilisant «lia» comme déterminant, mais sans doute que cela commence à trop changer la sonorité des phrases:

«L’étudiant doit s’adresser à lia professeur s’iel a besoin d’une attestation.»

Je pense personnellement que l’idéal est d’énoncer autant que possible les formes féminines aux côtés des formes masculines, mais qu’une fois que trop de lourdeur se fait sentir, utiliser la forme masculine avec un pronom — voire un déterminant — neutre, est une bonne solution de compromis. Et cela ouvre la voie à la construction d’un véritable neutre en français. Ces nouveaux mots «iel» et «lia» ont l’avantage de rester suffisamment proches des sonorités dont nous avons l’habitude, tout en étant suffisamment différents pour être bien ressentis à l’oreille.

Et le masculin ne l’emporte plus

La forme «iels» a aussi l’avantage de permettre de parler d’un groupe d’individus de genres différents de manière neutre. En effet, nous apprenons à l’école qu’un groupe de 100 femmes avec un homme se fait appeler «ils», car le masculin l’emporte. Les adjectifs qui se rapportent à de tels groupes sont dès lors systématiquement accordés au masculin pluriel. Saviez-vous que cette règle a été délibérément imposée contre l’usage dès le XVIIe siècle, pour la simple raison que le masculin était considéré comme «le genre le plus noble»?1 Avant cela, c’était la règle de proximité qui prévalait: l’adjectif, le verbe et le participe passé s’accordait en genre et en nombre avec le nom le plus proche:

«Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête» — Racine, Iphigénie, III.5 (écrite en 1674)

D’ailleurs, certain·e·s n’auront pas manqué de tiquer sur ma phrase précédente, où je n’ai pas accordé le verbe au pluriel mais au singulier, en accord avec cette règle. Des voix se sont levées pour plaider le retour à cette règle, beaucoup plus juste et, finalement, assez simple2.

Sacrilège! Ridicule! Aberrant!

Cela peut sembler une réflexion dérisoire, inutile, voire même sacrilège. Pourquoi vouloir combattre le masculin générique et des règles de grammaire bien établies? Tout simplement pour affirmer pleinement la place de la femme dans notre société, et cesser de la cacher sous un masculin qui ne la représente pas, et qui l’exclut systématiquement de nos représentations mentales. Alors bien sûr, ce n’est pas parce qu’on parle génériquement de l’étudiant, qu’on suppose que seuls les hommes peuvent étudier. Mais l’homme étudiant est posé comme règle, et la femme étudiante comme exception. Alors que lorsqu’on parle de l’étudiant·e et qu’on s’y réfère par «iel», il est directement entendu que les deux genres sont possibles. Les femmes constituent la moitié de nos sociétés, arrêtons de nous disculper derrière des règles de grammaires arbitraires et injustes, et donnons-leur toute la place qu’elles méritent!

Je vais reprendre une anecdote personnelle pour terminer. Au hasard d’une balade, je suis tombé sur l’affiche que voici: Cours de couture – Apprentie ou confirmée? Rejoignez-nous!

Ma première réaction en lisant le titre «Cours de couture» a été «Oh cool, ça peut être sympa!». Puis je lis le sous-titre: «Apprentie ou confirmée? Rejoignez-nous!» Et là, j’ai compris que l’affiche ne s’adressait pas à moi, que je ne serais pas à ma place dans un tel cours. Et je n’ai pas été plus loin. Combien de fois les femmes ne doivent-elles pas avoir ce sentiment, plus ou moins conscient, lorsqu’elles sont confrontées à des discours écrits au masculin? Infiniment plus que les hommes. Comment peut-on, dans ces circonstances, espérer construire une société égalitaire si la moitié de la population se sent régulièrement exclue?

Pour aller plus loin


  1. Voir Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, d’Éliane Viennot.↩︎

  2. Les éditions iXe par exemple, incitent leurs auteurs et autrices à utiliser cette règle dans leurs écrits, cfr. https://editions-ixe.fr/content/%C3%A9ditions-ixe.↩︎