Redonner sens au travail grâce au revenu de base
Travailler pour survivre
Qu’on le veuille ou non, nous avons tous besoin d’argent pour vivre. Et comme l’affirme la sagesse populaire, l’argent ne pousse pas sur les arbres. La solution prédominante qui nous est présentée est de travailler pour gagner cet argent, et ainsi pouvoir vivre. Or, ce lien intime entre travail et revenus porte fondamentalement atteinte à nos libertés et à notre développement personnel.
En effet, être obligé de travailler pour subvenir à ses besoins, c’est devoir s’engager dans une activité qui paie avant tout. Le premier critère de choix d’un travail est donc son caractère rémunérateur, et non son utilité, son sens, le plaisir qu’on en tire, notre épanouissement personnel, etc. Nous sommes ainsi obligés de choisir un travail qui offre un salaire, ce qui exclut tout type de travail qui n’en offre pas. Nous devons aussi le choisir vite, quitte à prendre quelque chose qui ne nous convient pas, car nous avons avant tout besoin d’argent pour vivre. Et une fois choisi, il sera difficile d’en changer, car cela prend du temps, que l’on n’a plus, ou cela impose de prendre des risques que l’on ne peut pas se permettre. Et cela devient encore plus difficile lorsque son emploi actuel est source de souffrance. Beaucoup se trouvent ainsi coincés dans un chemin de vie qu’ils n’ont jamais voulu, et qui les consume.
Par ailleurs, entreprendre devient l’apanage de ceux qui sont plus aisés, qui peuvent se permettre de prendre des risques avec leur situation financière. Nous sommes donc, par la force des choses, plus enclins à préférer des emplois salariés, et donc à nous soumettre à la volonté d’un « patron ». Nous perdons ainsi en liberté, car une relation de travail n’est que rarement conçue comme une réelle collaboration. Elle adopte une forme de dominant/dominé, où le dominé l’est avant tout par la crainte de perdre ce qui lui sert à subvenir à ses besoins, c’est-à-dire son emploi.
Quant à ceux qui ne trouvent pas d’emploi, en plus de devoir se plier aux contrôles infantilisants du chômage, ils doivent subir le blâme et les discours moralisateurs les rendant responsables de leur situation, alors qu’elle est avant tout engendrée par le système.
Pour résumer, la logique actuelle du travail pousse les gens à passer l’essentiel de leur vie à réaliser des tâches dans lesquelles ils ne trouvent pas ou peu de plaisir, en se soumettant à l’autorité d’un patron, et stigmatise ceux qui n’arrivent pas à s’y conformer. En somme, le rapport étroit entre travail et source de revenu fait en sorte que la majorité d’entre nous s’engage, contrainte, dans une forme d’esclavage moderne, et perd toute emprise sur sa vie.
On pourrait arguer du fait que je dépeins le monde du travail d’une manière bien négative alors qu’il peut aussi être source d’épanouissement. Ce qui me pose problème, c’est le fait que, nulle part dans cette logique, on nous laisse un réel choix. Le choix de la suivre, le choix d’en sortir. Le choix de ce qu’on fait de son temps, de sa vie. Car refuser cette logique revient essentiellement à se plonger dans la pauvreté.
Nietzsche écrivait (« Humain, trop humain », §283) :
Tous les hommes se divisent, et en tout temps et de nos jours, en esclaves et libres ; car celui qui n’a pas les deux tiers de sa journée pour lui-même est esclave, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il veut : politique, marchand, fonctionnaire, érudit.
Et force est de constater qu’à le lire, nous sommes presque tous des esclaves.
Vivre pleinement sa vie avec un revenu de base
La solution au problème que je viens de soulever est toute simple : il suffit de briser le lien de causalité entre travail et moyens de subsistance. Et la mise en place d’un revenu de base est l’option rêvée pour arriver à cette fin.
Un revenu de base, c’est une somme d’argent qui est versée périodiquement à chaque individu sans aucune contrepartie. C’est donc un revenu universel (tout le monde le touche) et inconditionnel (il n’y a pas de contrepartie exigée). En versant à tous un revenu permettant de couvrir les besoins de base de chacun, nous faisons en sorte que chacun puisse disposer de sa vie librement. Prendre un emploi rémunérateur, ou non. Développer une activité rémunératrice, ou non. Suivre ses projets, ses idées, développer ses talents… En somme, décider de faire ce dont il a vraiment envie, et vivre en phase avec ses aspirations. Être libre.
Mettre fin à la nécessité de trouver un travail rémunérateur pour vivre, ne tuera pas le travail, au contraire. Cela le transformera par contre profondément, pour un mieux. Et c’est ce qui semble faire le plus peur, car cela nous plonge dans l’inconnu. Le travail, sous toutes ses formes, a toujours été le cœur de l’activité humaine, il vaut tellement plus que ce qu’on en fait! Mettre en place un revenu de base permettra de valoriser tout le travail non rémunérateur, en le rendant accessible. Cela permettra aussi de revaloriser ou réorganiser les emplois les plus ingrats. Cela permettra de donner une force de négociation beaucoup plus grande à l’employé, qui ne choisit plus un emploi par nécessité, mais par goût, car il peut s’en passer. Et je ne peux imaginer de gain plus bénéfique pour les entreprises que d’avoir des équipes motivées. Bref, mettre en place un revenu de base, c’est redonner du sens au travail, qui serait source d’épanouissement et non de survie. Et cela bénéficiera à tous, individuellement mais aussi collectivement.
C’est en effet la plus grande richesse que l’on peut apporter à notre société : faire en sorte que chacun puisse y contribuer de la meilleure manière qui soit, c’est-à-dire en développant ses talents et en faisant ce qui le motive. Nous passerions ainsi d’une logique aliénante, où la majorité de la population subit des contraintes, à une logique émancipatrice pour tous. Nous passerions d’une logique de soumission et d’infantilisation à une logique de confiance et d’autonomie. Sans parler du fait que nous éradiquons d’un coup la pauvreté! Ce qui est déjà en soi riche en conséquences sur le bien-être général.
Pour terminer, j’aimerais reprendre une citation de Brian Eno lors d’une rencontre du collectif Basic Income UK en 2015 :
[…] So what that means of course is two things: One of them is the understanding that all people are born unequal, so everybody has a particular and unique set of gifts and talents, whatever they are. And secondly that intelligence is generated by communities, by a cooperation of some kind.
So I suppose the biggest obstacle to that [i.e. the generation of intelligence by communities] at the moment is that people have to earn a living. I often get asked to come and talk at art schools and I rarely get asked back because the first thing I always say is «I’m here to persuade you not to have a job» and the professors always look a bit nervous, perhaps since they often consider their task is to somehow smooth you into a job. So my first message to people is «Try not to get a job». That doesn’t mean «Try not to do anything», it means «Try to leave yourself in a position where you do the things you want to do with your time and where you take maximum advantage of whatever your possibilities are.»
So the obstacle is of course most people aren’t in a position to do that. So I want to do anything to work to a future where everybody is in a position to do that. […] [W]hat I do know is that the concept [of basic income] is the closest thing I’ve heard to achieving the kind of future that I would like to live in.
Traduction sans prétention:
[…] Cela veut dire deux choses: La première est de comprendre que nous naissons tous inégaux, avec chacun un ensemble de dons et de talents unique, quels qu’ils soient. Et deuxièmement, que l’intelligence est créée par les communautés, à travers la coopération.
Je pense donc que le plus grand obstacle à cela [i.e. la création d’intelligence par les communautés] pour le moment est que les gens doivent gagner leur vie. On m’invite souvent à parler dans des écoles d’art, et je suis rarement rappelé parce que la première chose que je dis toujours est: «Je suis ici pour vous persuader de ne pas trouver d’emploi.», ce qui rend les professeurs mal à l’aise, sans doute parce qu’ils estiment généralement que leur tâche est de vous donner un tremplin pour l’emploi. Donc mon premier message est «Essayez de ne pas trouver d’emploi.» Ça ne veut pas dire «Essayez de ne rien faire.», ça veut dire «Essayez de vous mettre dans une position où vous faites les choses que vous voulez avec votre temps, et où vous tirez un maximum profit de toutes vos possibilités.»
Le problème est bien sûr que la plupart des gens ne sont pas en mesure de faire cela. J’aimerais donc tout faire pour travailler pour un futur où tout le monde serait en mesure de faire cela. […] Et ce que je sais, c’est que le concept [de revenu de base] est la chose la plus proche dont j’ai entendu parler, qui permette d’atteindre le futur dans lequel j’aimerais vivre.
Pour creuser tout ça
Il existe des tonnes de ressources sur le revenu de base. Un bon début est le site du Mouvement français pour un revenu de base.
Et je ne résiste pas à partager un de mes articles favoris (en néerlandais), qui relate de nombreuses expériences concrètes, où un revenu de base a été introduit: Waarom we iedereen gratis geld moeten geven.